Réinventer la rencontre : l’impact des projets intergénérationnels sur la vie des aînés en Aveyron

17/11/2025

Un territoire propice aux échanges entre générations

L’Aveyron porte en lui un esprit de village : solidarité, proximité et entraide y sont plus qu’ailleurs inscrites dans le quotidien. Pourtant, la fracture générationnelle peut exister même ici, sous l’effet du vieillissement démographique (31,3 % des Aveyronnais ont plus de 60 ans, selon l’INSEE 2022) et du départ des jeunes vers les zones urbaines. Depuis une quinzaine d’années, on voit fleurir sur le département des initiatives visant à rapprocher les générations, favorisant le vivre-ensemble et la transmission.

Cette dynamique n’est pas que symbolique : les projets intergénérationnels s’avèrent être de véritables leviers pour la qualité de vie des aînés. Ils prennent la forme de jardins partagés, d’ateliers culturels, de rencontres scolaires, ou encore d’habitat intergénérationnel. Leur succès repose sur l’ancrage local, la capacité à tisser du lien et à donner du sens au quotidien des personnes âgées, que ce soit à domicile ou en EHPAD.

Pourquoi miser sur l’intergénérationnel ? Principaux enjeux en Aveyron

  • Lutter contre l’isolement : 1 personne âgée sur 4 en Aveyron vit seule. L’isolement social, reconnu comme un facteur aggravant de la perte d’autonomie (rapport Petel, Conseil départemental 2023), concerne ici des milliers d’aînés, en particulier sur le plateau de l’Aubrac et dans les petites communes reculées.
  • Prévenir la perte d’autonomie : Les interactions sociales régulières ont un effet protecteur face au déclin cognitif et à la dépression, comme le montre l’étude PAQUID (Inserm/Université de Bordeaux, 2009).
  • Favoriser la transmission et la reconnaissance : Les aînés qui transmettent leur savoir-faire ou racontent leur histoire bénéficient d’une valorisation essentielle à leur estime de soi. Cela répond à un besoin exprimé localement, souvent mis en lumière lors des Conseils des Sages ou dans les diagnostics territoriaux de la CNSA.
  • Créer une société inclusive : Les enfants et jeunes adultes impliqués dans ces projets grandissent en déconstruisant les préjugés sur le vieillissement, ce qui favorise le respect et l’intégration sociale des personnes âgées.

Des formes multiples adaptées au territoire

Les jardins partagés : une dynamique rurale

À Espalion et Saint-Affrique, les jardins intergénérationnels, soutenus par le dispositif « Centres sociaux Aveyron », rassemblent chaque semaine enfants, familles, adultes en activité et aînés, certains issus d’EHPAD proches. La coopération autour de la terre permet de créer naturellement des temps d’échange. On y croise des anciens transmettant à des enfants les gestes du potager, mais aussi des moments collectifs de récolte et de préparation de repas, générant un sentiment d’utilité sociale fort chez les aînés.

Les ateliers créatifs et culturels

À Rodez et Villefranche-de-Rouergue, des associations comme « Générations Capucines » invitent enfants et résidents d’EHPAD à co-écrire des histoires, à peindre, à chanter ou à monter des spectacles. D’après l’association Les Petits Frères des Pauvres, ces activités réduisent significativement les symptômes anxieux et dépressifs chez les aînés, et c’est aussi un puissant moyen de maintenir la mémoire vivante, aussi bien au sens individuel que collectif.

L’habitat intergénérationnel : une solution innovante encore timide

La colocation intergénérationnelle, inaugurée timidement en 2022 à Rodez grâce à une collaboration entre le CCAS et l’association « Ensemble2Générations Occitanie », propose à des étudiants d’être logés chez des personnes âgées en échange d’une présence et, parfois, d’un soutien quotidien. En 2023, on comptait une dizaine de binômes actifs dans l’Aveyron. Cette solution, déjà éprouvée à Toulouse ou Lyon, séduit progressivement le milieu rural et permet de rompre à la fois la solitude des aînés et les difficultés liées au logement étudiant.

Quels bénéfices concrets pour les aînés aveyronnais ?

  • Stimulation cognitive et psychique : La participation à des activités intergénérationnelles maintient les capacités intellectuelles, réduit le sentiment d’anxiété et atténue les troubles dépressifs. Selon une enquête menée en 2023 par la Fondation i2ml, 69 % des résidents d’EHPAD ayant participé à des projets intergénérationnels déclaraient un moral « meilleur ou beaucoup meilleur » après ces échanges.
  • Bien-être physique : Les activités partagées, comme la marche, le jardinage, ou la cuisine, permettent aux aînés de rester actifs et de préserver leur autonomie.
  • Valorisation et appartenance : Être sollicité comme « passeur de savoirs » ou de mémoire permet à des anciens qui se sentent parfois marginalisés de retrouver un rôle reconnu, observé notamment lors des ateliers « L’Âge d’or » du Centre social de Millau.
  • Prévention du repli : Les rendez-vous réguliers — même ponctuels — favorisent la motivation à sortir, à se préparer, à rencontrer du monde, ce qui s’oppose à la spirale de l’isolement.

Illustrations sur le terrain : des initiatives inspirantes en Aveyron

  • À Sainte-Geneviève-sur-Argence : Le projet « Classes Mémoire » associe une école, un club du 3e âge et la médiathèque locale pour collecter, numériser et valoriser des témoignages d’anciens. Les enfants retranscrivent, les retraités corrigent et complètent, créant une vraie co-construction d’histoire locale. Ce projet, soutenu par la DRAC Occitanie, a inspiré d’autres communes en zone rurale.
  • À Decazeville : Le foyer-logement « Les Genévriers » accueille chaque trimestre une formation « numérique & échange » donnée par des lycéens du lycée La Découverte aux résidents, autour des usages des tablettes, d’Internet et du lien familial au quotidien (appels visio, création de groupes WhatsApp, etc.).
  • À Laissac : Des agriculteurs retraités interviennent auprès des scolaires pour évoquer l’évolution du métier. Des sorties sur le terrain leur permettent de rester actifs et d’avoir accès à des lieux extérieurs, tout en partageant leur expérience. Ce sont plus de 200 élèves touchés depuis 2019 (source : Association Terre de Liens).

Les conditions clés du succès : points de vigilance pour un projet intergénérationnel réussi

  1. L’implication des acteurs locaux : Des projets durables émergent là où associations, établissements scolaires, EHPAD, municipalités et familles travaillent ensemble. La coordination doit être continue et adaptée aux réalités du terrain — rythme rural, accessibilité, santé des participants.
  2. La régularité et la continuité : Il est essentiel d’offrir des rencontres échelonnées sur l’année : la répétition consolide la relation, donne confiance, réduit les phénomènes de gêne ou d’appréhension.
  3. L’adaptation aux capacités et envies de chacun : Tous les projets doivent s’adapter à la diversité des situations. Certains aînés auront besoin d’activités douces et de pauses, d’autres seront force de proposition. L’écoute initiale, via un diagnostic partagé, permet d’éviter la frustration ou l’épuisement.
  4. L’évaluation régulière des bénéfices et des difficultés : Les retours des participants, familles et intervenants permettent d’ajuster le projet au fil du temps. De plus en plus de structures utilisent des indicateurs de bien-être simples mais efficaces (questionnaires oraux, carnets partagés, photos commentées).

Des freins persistants mais des perspectives prometteuses

Si certains facteurs freinent encore le développement de l’intergénérationnel en Aveyron — mobilité réduite, manque de bénévoles, méconnaissance mutuelle entre générations, contraintes organisationnelles —, la dynamique impulsée par les collectivités et le tissu associatif s’amplifie. Les appels à projets locaux, notamment portés par la CARSAT, le Conseil départemental et la Fondation de France, offrent un levier important.

On note aussi l’émergence de projets « itinérants » : des activités mobiles allant à la rencontre des aînés dans les plus petits villages, une synergie entre protection sociale, ruralité et innovation sociale. L’accompagnement des collectivités rurales, la formation et la valorisation des bénévoles sont des priorités mises en avant dans le rapport « Bien vieillir ensemble en Occitanie » (2023).

Perspectives : une société aveyronnaise plus solidaire et inclusive

Les projets intergénérationnels ne sont pas une mode, mais une réponse pragmatique et locale à des enjeux sociétaux majeurs : maintien de l’autonomie, lutte contre la solitude, valorisation du patrimoine humain. Dans un département où l’on valorise depuis toujours l’entraide et les racines, ces initiatives permettent de retrouver du sens, du lien et de la joie au quotidien. Pour aller plus loin, il est souhaitable de renforcer la visibilité de ces projets, d’en mesurer l’impact et d’accompagner la démultiplication des bonnes pratiques à l’échelle locale.

Vivre et vieillir en Aveyron, c’est aussi faire une place à chaque génération, dans le respect, la reconnaissance et la bienveillance. À travers le partage, le territoire construit collectivement sa capacité à relever le défi du vieillissement.

Pour approfondir :

  • Rapport « Bien vieillir ensemble en Occitanie » (2023), Région Occitanie
  • Étude PAQUID Inserm/Université Bordeaux
  • Enquête Fondation i2ml 2023
  • Conseil Départemental de l’Aveyron - rapport Petel 2023
  • Initiatives recensées sur le site Petits Frères des Pauvres

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